mardi 8 décembre 2009

Moggiopoli

En 2005, Luciano Moggi était l’un des hommes forts de la Juventus depuis douze années, avec Antonio Giraudo, adminstrateur délégué, et Roberto Bettega, vice-président. Ils avaient gagnés 7 titres de champion d’Italie et quatre finales de Ligue des Champions dont une victoire en 1996.


De sérieux doutes se propageaient aussi dans le calcio concernant l'impartialité des arbitres à l'égard du club turinois. Souvent un petit pénalty était sifflé pour forcer la décision... Luis Figo avait écopé d’une amende de 5000 euros pour propos diffamatoires à l’encontre de Luciano Moggi : "Que faisait Moggi dans le vestiaire de l’arbitre ?", s’interrogeait-il après le match entre les deux clubs. "J’ai joué dans le monde entier, mais je n’ai jamais vu quelqu’un comme Moggi. Il se comporte comme s’il était le grand maître du football". L’intéressé s’était défendu en affirmant qu’il n’avait été voir l’arbitre qu’après le match, et pas avant comme le Portugais l’affirmait.

Sur la base de nombreux soupçons, la Fédération italienne de football (Federcalcio) avait demandé à la justice d’ouvrir une enquête. Des écoutes téléphoniques ordonnées par la justice montrèrent sans ambiguïté l’influence du patron de la Juventus sur Pierluigi Pairetto, l’homme chargé à l’époque de la désignation des arbitres italiens.

Cet ancien arbitre était aussi vice-président de la commission arbitrale de l’UEFA. De juillet à septembre 2004, la justice italienne a ainsi ordonné des écoutes téléphoniques, publiées par la presse transalpine. En de nombreuses occasions, les arbitres appréciés par Luciano Moggi, étaient bel et bien désignés. Même lors de la Ligue des champions. En effet, la veille d’une rencontre Ajax-Juventus de 1997, M. Pairetto annonce à Moggi avoir "mis un grand arbitre pour le match d’Amsterdam" le Suisse Urs Meier, provoquant une réaction très claire du patron de la Juventus : "C’est génial. Je ne t’oublierai pas ".

Ces trois mois d’écoutes avait révélé un système de corruption dont l’objectif était d’influer sur les choix des arbitres pour les rencontres du club turinois. Un vaste système orchestré par son directeur général Luciano Moggi a été mis en place, incluant des petits arrangements et autres échanges de faveurs. Cette corruption du système touchait également les médias, notamment Aldo Biscardi, présentateur de l'émission "Le procès de Biscardi", qui s'arrangeait pour que les erreurs d'arbitrage favorisant la Juventus soient minimisés, en échange de cadeaux de Moggi. Cela se traduisait par une modification des distances lors d'un hors jeu non sifflé pour la Juventus notamment.

La publication des extraits téléphoniques par la presse en 2006 provoqua la réaction de deux parquets. Celui de Naples mis en examen Luciano Moggi pour "association de malfaiteurs destinée à la fraude sportive" et celui de Rome mis en examen le même homme pour "concurrence déloyale avec menaces et violence".

Ce scandale ne se limitait pas au seul club turinois, la Lazio, la Fiorentina et le Milan AC étaient inculpés dans cette affaire. L'ancien président de la fédération italienne en personne, Franco Carraro, et le président démissionnaire de la ligue professionnelle des clubs, également vice-président du Milan AC, le club de Berlusconi, Adriano Galliani étaient également inculpés dans ces matches truqués.

La Juventus fut rétrogradée l'année suivante en Serie B, avec un retard de trente points. Ses deux derniers titres de champion sont annulés, et de forts soupçons planent sur les précédents titres de la Vieille Dame. Les douze membres du Conseil d'administration de la Juve, dont faisait partie Moggi, démissionnent le 11 mai 2006. La Lazio Rome et la Fiorentina, soupçonnées d'avoir arrangé leur deuxième rencontre lors de la saison 2004-2005, seront elles aussi rétrogradées en Serie B, avec un retard de sept points pour les romains, de douze pour le club de Florence.

Le Milan AC, enfin, restera en Serie A, mais avec quinze points de malus. En outre, le club s'est vu retirer 44 points lors du précédent championnat, faisant du club, menant le club dans la deuxième partie du tableau. Leonardo Meani, dirigeant du club, a été soupçonné d'avoir décidé à deux reprises des arbitres qui dirigeraient le Milan.

Pour certains, Luciano Moggi était appelé "M. Mercato" tant il était influent dans les transferts des joueurs. En décembre 2004, Karl-Heinze Rummenigge, directeur général du Bayern Munich, s’était plaint des agissements de Luciano Moggi, qui s’intéressait à Willy Sagnol : « Je ne veux plus rien avoir à faire avec le directeur sportif de la Juve Luciano Moggi. Ce ne sont pas des gentlemens, c’est la mafia », lançait-il dans le journal Bild am Sonntag..

Le parquet de Rome, qui enquêtait déjà sur les méthodes de la GEA World, une société d’agents de joueurs dont le président, Alessandro Moggi, fils du dirigeant de la Juventus, a mis ce dernier en examen, en février 2006, pour "concurrence déloyale avec menace ou violence". Cette société apparaissait dans les écoutes téléphoniques, ainsi que plusieurs autres dirigeants de la Juventus.

L'affaire de la vieille dame


Le mercredi 15 décembre 2005, les dirigeants de la Juventus de Turin ont été "blanchis" en appel des accusations qui avaient valu à Riccardo Agricola (médecin chef du club) d'être condamné en novembre 2004 à un an et dix mois de prison pour "fraude sportive et administration de produits dangereux".



Chronologie de l’affaire :

Juillet 1998. Zdenek Zeman, entraîneur de la Roma pointe dans une interview «l'explosion musculaire» de certains joueurs de la Juventus et demande au Calcio de «sortir des pharmacies».

Août 1998. Le procureur Guariniello ouvre une enquête. Lors d’une perquisition ordonnée par le procureur Raffaelle Guariniello, 281 types de médicaments sont trouvés dans les locaux de la Juventus de Turin. « De quoi subvenir aux besoins d’un hôpital de taille petite ou moyenne », dira un expert. On trouvera également une dizaine de produits figurant sur la liste des produits interdits du Comité international olympique. Sans parler d’autres manipulations pharmacologiques (EPO ou transfusions) qui, à défaut d’être découvertes le jour de la perquisition, auront laissé des traces indirectes dans certains dossiers médicaux. Saisie des dossiers médicaux des joueurs. Del Piero et Vialli sont entendus.

Septembre 1998. On apprend que le laboratoire romain de l'Acquacetosa ne contrôlait pas les anabolisants, que des dossiers de footballeurs y ont disparu et que des contrôles positifs ont été dissimulés. Le président du Comité olympique italien est contrait de démissionner.

Octobre 1998. Des documents saisis chez un médecin révèle des taux d'hématocrite anormaux chez les joueurs de Parme. Les mesures ont été effectuées alors que Thuram et Boghossian étaient en vacances. Daniel Bravo fait état de piqûres «douteuses» lorsqu'il évoluait au club. Le club évoqua une erreur de l'appareil de mesure.


Mars 1999. Deschamps et Zidane sont entendus par le procureur.

Juin 2000. Sandro Donati, responsable du Comité olympique italien (CONI) indiquait que la Juve avait pris sous contrat en 1998 deux "conseillers" pour le moins controversés, qui opéraient auparavant dans l’athlétisme: l’Argentin Guillermo Laich, «spécialiste de l’hormone de croissance, réputé pour ses méthodes plutôt dangereuses», et le Néerlandais Henck Kraajienhof, connu pour avoir soutenu par le passé l’utilité des stéroïdes. «Il était même allé jusqu’à plaider dans un journal de son pays la libéralisation du dopage!» En fait, poursuit Donati, «c’est le début des enquêtes (...) qui a mis fin à cette tentative de dopage programmé dans le foot. Les clubs ont eu peur et à ce moment-là, ils ont tous rompu leurs contrats avec ces médecins un peu "spéciaux". S’il n’y avait pas eu toutes ces affaires, je pense qu’une période très dangereuse s’annonçait pour le Calcio» (L’Humanité).


Juillet 2001. Un premier rapport d'expertise identifie des «profils pharmacologiques inquiétants», des variations anormales de taux d'hématocrite et une administration de fer et de créatine dangereuse pour la santé

Janvier 2002. Ouverture du procès, qui comptera trente-neuf audiences.

Octobre 2003. Gianluca Vialli, au club de 1992 à 1996, déclare qu'il subissait de nombreuses injections, alors que «neuf fois sur dix, il ne soufrait pas de troubles particuliers».

Janvier 2004. Après avoir décliné deux fois l'invitation pour «raisons professionnelles» Zinédine Zidane se présente au tribunal et admet la consommation de créatine entre 1996 et 2001 (ce reconstituant musculaire ne figure pas sur la liste des produits interdits). Il dit penser que les produits qui lui étaient administrés le matin des matches via des perfusions ou des piqûres étaient "des vitamines".



Juin 2004. Dans son rapport, le Pr D'Onofrio conclut à l'usage «quasi-certain» d'EPO par Antonio Conte et Alessio Tacchinardi. Il s'interdit un diagnostic définitif pour Zinédine Zidane et Didier Deschamps, même si ce dernier présente des variations de taux d'hémoglobine et de ferritine suspects.

Novembre 2004. Le jugement rendu se rapportait à la période 1994-1998 du club. L’expertise finale, confiée en partie au professeur Giuseppe D’Onofrio, a porté sur l’étude des paramètres sanguins de quarante-neuf joueurs et a conclu à l’utilisation quasi certaine de l’EPO ou de transfusions pour deux joueurs, Conte et Tacchinardi, et très probablement pour six autres footballeurs, dont Didier Deschamps. Le taux d’hématocrite de ce dernier a pu atteindre 51,9%, et au vu de l’importance des variations de ces mesures d’hémoglobine, l’expert indique une «stimulation exogène». Le jugement confirme la sanction pour "fraude sportive" et mentionnent l’utilisation de l’EPO. Il indique aussi que le Dr Agricola "ne peut s’être procuré seul l’EPO, ni avoir agi sans l’autorisation préalable de ses supérieurs". Le Dr Agricola est condamné à un an et dix mois de prison ferme et à une interdiction d’exercer, l'administrateur délégué Antonio Giraudo bénéficie d'un non-lieu.

Décembre 2005. Durant ce procès, l'hématologue Giuseppe D'Onofrio, a pourtant conclu à la certitude du recours à l'EPO et aux transfusions sanguines pour au moins deux joueurs (Antonio Conte et Alessio Tacchinardi). L'enquête et les experts avaient aussi démontré l'usage par les turinois d'une pharmacopée, en dépit de toute justification médicale... Mais voilà, le juge Gustavo Witzel a décidé que la loi sur la "fraude sportive", originellement destinée à la corruption et aux paris truqués, ne s'appliquait pas au dopage.

Coup de chance pour la juventus, la loi antidopage votée en 2000 ne pouvait sanctionner des faits remontant à 1994-1998. Comme le soulignait Stéphane Mandard dans Le Monde, “La cour d'appel du tribunal de Turin n'a pas remis en cause les conclusions de l'expertise pour blanchir le médecin de la Juventus. Elle a simplement précisé que ni l'usage de médicaments ni l'administration d'EPO n'étaient considérés comme un délit au regard de la loi sur la fraude sportive en vigueur en Italie au moment des faits. Le football professionnel sembla plus que jamais bénéficier d'une remarquable impunité en matière de dopage. Comme l'a regretté le Pr D'Onofrio : "Il est clair que le foot est intouchable. Désormais, plus personne n'osera mettre son nez dans les pharmacies des clubs" (L'Équipe).


lundi 7 décembre 2009

Une évidence bien protégée


On dit généralement que le football n'est pas un sport purement physique, ce qui épargnerait les tentations du dopage. Joao Havelange, ancien président de la FIFA, déclarait pendant son règne que "le football n'était culturellement pas concerné par le dopage".


Dans un sport individuel, la prestation dépend surtout du niveau de la puissance musculaire et de l’endurance. Alors que dans le foot ou les autres sports collectifs, ces deux facteurs ne suffisent pas. Il y a toute une série d’autres critères qui rentrent en jeu, rendant le football plus complexe. Notamment toutes les capacités de coordination, comme la technique, la combinaison des mouvements collectifs, l’anticipation, la réaction ou encore le rythme.


Mais avec l'intensité athlétique du football moderne et les calendriers des équipes, l'endurance est devenue de plus en plus importante dans le football, même si les substances interdites ne parviendront jamais à changer la technique d'un joueur, elles lui seront bien utiles pour l'exprimer pendant 90 minutes, 60 à 80 fois par an…

Zidane déclarait : « Même le joueur le plus technique du monde ne peut pas exprimer son jeu comme il le devrait si sa condition physique n’est pas bonne ».


Michel D'Hooghe, président de la Commission médicale de la FIFA déclarait avant la coupe du monde 2002 : "L'EPO est introduite dans l'ensemble du sport mondial et je ne peux pas croire qu'il y a une barrière autour des terrains de football (…) Il est possible à des joueurs de disputer 70 ou 80 matches par an. Ils le font... La question est: Comment?".


Michel D'Hooge s'interrogeait notamment sur "les risques encourus par les joueurs qui doivent assumer des charges physiques multipliées tout en subissant une pression maximale", et suggère que "l'agressivité sur les terrains pourrait être un symptôme de la prise de certains produits comme les stéroïdes anabolisants" (coup de boule de Zidane sur Materrazzi). Il s'interroge également sur "la responsabilité des scientifiques et des médecins qui collaborent au système", et s'inquiète de la "présence avérée de certains experts du cyclisme ou du ski de fond présents dans les milieux du footbal".


Il reprochait aussi "le laxisme en matière de contrôle, la moitié des tests servant à détecter des drogues récréatives comme le cannabis (B Lama, F Barthez), l'ecstasy ou la cocaïne (Maradona), bien loin de la pharmacologie de la performance"

Pourtant, les campagnes anti-dopage de la FIFA sont surtout des opérations de dissuasion destinées à alerter les contrevenants éventuels. La FIFA n'a aucun intérêt à des contrôles positifs durant sa principale compétition : la coupe du monde. On n'est donc pas étonné du peu d'attention suscitée par le problème au sein même de la FIFA.

Il faudrait se donner les moyens de véritable programmes de prévention et de répression du dopage. La FIFA n'a malheureusement pas intérêt à risquer de désenchanter le monde idéal du foot. Elle a refusé tout alignement des pratiques sur celles que préconise l'Agence mondiale antidopage (AMA), dont c'est pourtant la mission.
Elle n'a aucun intérêt à voir une institution indépendante lever le voile sur la réalité.

Dans un article de France Football, même les joueurs sont réticents à une lutte anti-dopage constante comme elle est appliquée par exemple au tennis. En effet, les capitaines de L1 et L2 ne voulaient pas se plier aux contraintes de l'AMA (Agence mondiale antidopage) en 2009. Le capitaine marseillais, Lorik Cana, disait qu'il avait envisagé, à un moment, de prendre la tête d'un mouvement de révolte «J'avais décidé de contacter tous les capitaines de L1. On devait se mettre d'accord et refuser cette mesure». Mais ils y ont renoncé finalement.

Parmi tous les capitaines interrogés par
France Football, la grande majorité est opposé ou au mieux sceptique sur la multiplication des contrôles anti-dopage
périodiques, car cela présente une énorme contrainte individuelle. C'est le cas de quelques grands joueurs : «C'est ridicule, pense ainsi Claude Makelele. Ils vont avoir du mal avec moi, surtout pendant les vacances. On est en famille, avec des amis, dans la discrétion Certains joueurs doutent sérieusement de l'efficacité de ces nouveaux contrôles. «En seize ans, je n'ai été contrôlé qu'une demi-douzaine de fois», déclare Pierre-Yves André. Yann Kermorgant, le capitaine rémois déclare «Il ne faut pas se voiler la face. Le foot, comme d'autres disciplines est affecté par le dopage».

Une évidence bien protégée !