jeudi 3 décembre 2009

La politique au foot


Bel article sur "la politique au foot" écrit par Véronique Bruant en 2002.


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Le foot, c’est plus que du sport. C’est un véritable miroir de notre monde. On le dit populaire, universel, probablement parce qu’il reflète l’âme humaine. C’est un condensé de solidarité, camaraderie, virtuosité, volonté, mais aussi de violence, agressivité, fanatisme, tricherie, nationalisme… Il rassemble mais il divise par la même occasion. Les responsables politiques l’ont bien compris.

Parti probablement de Chine, le football se résumait avant la seconde moitié du XIXe siècle à un jeu de ballon aux significations mythiques, guerrières ou ludiques. Le football apparaît sous sa forme contemporaine en Angleterre, à l’époque de la naissance de l’ère industrielle et du capitalisme. Très vite, les propriétaires d’usines anglais comprennent les avantages que pourra leur procurer le foot : union plus forte entre les ouvriers et renommée de leur entreprise. C’est ainsi que naissent des clubs prestigieux comme West Ham ou Arsenal. Par la suite, le football connaîtra un développement international rapide. Il conquiert le monde d’abord par les ports, via les missions commerciales des navires anglais, et grâce aux étrangers venus étudier dans les collèges britanniques. Les chemins de fers ainsi que la télévision, parachèveront sa progression à travers l’Europe et l’Amérique latine, ensuite l’Afrique et l’Asie. Le foot est donc un symbole de la modernité. Il est lié à l’idéologie du libre-échange : banquiers, courtiers, commerçants internationaux sont à l’origine de la création de clubs partout en Europe entre 1890 et 1910. Après la première guerre mondiale, l’ère du cosmopolitisme du foot se transformera en ère des nationalismes. Les styles nationaux ou régionaux (on joue à la danubienne ou à l’italienne) se détacheront du modèle universel anglais.


Lecture géopolitique du foot

Cette propagation du foot au niveau planétaire n’a-t-elle pas de quoi faire pâlir d’envie les grands empires de l’histoire ? N’est-elle pas une des plus belles conquêtes de tous les temps ? C’est ce que défend Pascal Boniface dans son ouvrage La terre est ronde comme un ballon. Géopolitique du football, réédité cette année. Parallèlement à la situation stratégique mondiale, le nouvel ordre mondial du foot est en mouvance : la Coupe du Monde en Asie confirmera-t-elle la fin de la suprématie du Brésil et l’avènement de la France comme nouvelle superpuissance ? Ce tableau géopolitique quelque peu original fait de la superpuissance l’objet d’admiration (ce qui est loin d’être le cas pour les USA) et tend à rendre Sepp Blatter, actuel président de la FIFA, plus connu que Kofi Annan. Les personnalités de la planète foot ne sont-elles pas parfois plus célèbres que les chefs d’état eux-mêmes ?

Force est de constater que les compétitions internationales donnent très certainement une image plus égalitaire de la mondialisation par la présence de tous les continents. Mais les événements géopolitiques ont eux aussi des répercussions sur le football. Le XXe siècle a vu éclore un tas de nouveaux États-nations (décolonisation et chute d’empires). Ces nouveaux venus se définissent par un territoire, une population, un gouvernement et … une équipe nationale de football.

L’adhésion à la FIFA équivaut à celle à l’ONU (la FIFA compte 204 membres, c’est plus que l’ONU). Le foot est manifestement un élément solidifiant pour une jeune nation. En 1990, après sa déclaration d’indépendance, la Lituanie a retiré son équipe de foot de la ligue soviétique, quant à la Géorgie, elle a adhéré directement à la FIFA. Franjo Trudjman a quant à lui demandé au Dynamo de Zagreb de se rebaptiser Croatia, marquant ainsi son identité nationale et surtout sa volonté de rentrer dans le monde occidental, Dynamo étant trop empreint de bolchevisme.


Vitrine du nationalisme

Si le foot permet de cimenter le sentiment national, il peut servir aussi à anticiper une reconnaissance diplomatique. C’est le cas de l’Algérie. Avant son indépendance, le FLN (Front de libération national) crée une équipe avec les joueurs algériens ayant déserté les clubs français et entreprend une tournée mondiale en 1958. Toujours en Algérie, le nationalisme berbère s’incarne dans une équipe de football : la JSK, jeunesse sportive kabyle. À l’époque de l’Espagne franquiste, le football a également joué le rôle de catalyseur des identités régionales. Encore maintenant, l’Athletic de Bilbao n’accepte de transférer que des joueurs qui peuvent faire prévaloir une ascendance basque.

Le foot se révèle être un excellent laboratoire des nationalismes, un terrain d’affirmation des identités collectives et, à l’occasion, une boule de cristal des conflits à venir. Les affrontements entre les supporters croates du Dynamo de Zagreb et les Serbes de l’Étoile rouge de Belgrade préfiguraient le déchirement des Balkans. De même, le divorce tchécoslovaque se lisait déjà au travers des heurts violents des années ’80 entre le Sparta de Prague et le club Slovan de Bratislava. Par le biais de l’équipe nationale (ou régionale) s’exprime librement le besoin d’identification et de fierté nationale. Ne serait-il pas ainsi un substitut légal et légitime des conflits inter-étatiques : « Le foot, comme continuation de la guerre par d’autres moyens », « le Mondial plutôt que la guerre mondiale ». Ce ne sont pas les termes militaires qui manquent dans le vocabulaire « footballistique » : attaque, défense, stratégie, hymne national, conquête, voire déclaration de guerre ! C’est ce qui s’est passé en 1969 après un match entre le Honduras et le Salvador. Cette « Guerre du football » durera quatre jours. Bien entendu le foot ne constitue jamais la cause d’une guerre, mais il peut être un élément détonateur, un prétexte au lancement des hostilités. Sur la pelouse verte d’un terrain de foot se lisent les signes avant-coureurs de dégradation ou d’amélioration des liens entre États.


Récupération politique

Il n’y pas que le peuple qui s’exprime via le football, le monde politique aussi. Et voilà nos vedettes préférées métamorphosées en soldats de plomb au service de la cause nationale. L’Italie fasciste de Mussolini et l’Argentine des colonels ont su utiliser les victoires de leurs équipes respectives comme moyen de propagande et d’acceptation internationale de leur régime. En 1934, lors de la Coupe du Monde en Italie, deux stades portent des noms significatifs : le Stade du Parti fasciste à Rome et le Mussolini de Turin.

En 1978, le Comité pour le boycott de l’organisation par l’Argentine de la Coupe du Monde de football ne manque pas d’informer autorités et population des méfaits de la junte militaire de Videla. Rien n’y change. Auparavant, Franco avait déjà tenté d’instrumentaliser le foot pour assurer sa mainmise sur l’ensemble de l’Espagne. Il devra y renoncer, précisément parce que les nationalismes locaux trouveront dans les clubs de foot un parfait terrain d’expression.

Au-delà du nationalisme, des prises de position politiques peuvent trouver dans les compétitions internationales une caisse de résonance inespérée. Lors de la phase éliminatoire de la Coupe du Monde 58, les pays du groupe Afrique-Asie refusent de jouer contre Israël. En 1950, les pays de l’Est avaient refusé de se rendre au Brésil. En 1966, quinze pays africains susceptibles de participer à la Coupe du Monde en Angleterre décident de se retirer, en raison de la sous-représentation de leur continent. Trente ans plus tard, l’Afrique du Sud accueille pour la première fois la Coupe africaine des Nations de football. Occasion propice pour montrer son intégration dans la communauté africaine et sa volonté de suprématie au niveau régional. Certains régimes, par contre, se méfient du foot. C’est le cas de l’Iran de l’imam Khomeiny car, dans l’anonymat de la foule, on peut crier son opposition. Pour garder la mainmise sur les clubs, les « pouvoirs forts » ont toujours recherché à les rattacher à la police, à l’armée, à des ministères … Scénarios bien connus dans les anciens pays de l’Est.


Les affaires du foot

Une autre manière de voir les liens étroits qui unissent politique et foot : s’intéresser de plus près aux arbitres et aux dirigeants des clubs. L’arbitrage tout d’abord. Ce pouvoir de voir ou de ne pas voir les fautes. En 1954, la RFA remporte la Coupe du Monde de football au détriment d’une équipe hongroise littéralement volée par l’arbitre. Certains y ont vu une manœuvre pour donner une image plus positive à l’ancien ennemi de l’Europe invité à participer à la Communauté européenne de Défense (CED), besoins de la guerre froide obligent.

On se remémorera aussi le match truqué entre l’Argentine et le Pérou en 1978, quand le gardien de but péruvien laissa passer les ballons sur ordre des responsables politiques des deux nations. Même topo en Roumanie où l’équipe du Steaua de Bucarest, fondée par Nicolae Ceausescu, était sous la coupe du fils du dictateur qui bénéficiait d’arbitres et de joueurs adverses conditionnés par la Securitate. Plus récemment, comment Bernard Tapie et surtout Silvio Berlusconi, (ex-)dirigeants de l’Olympique de Marseille et de l’AC Milan, auraient-ils pu lancer leur carrière politique sans ce tremplin médiatique et cette manne à voix que représentent un club de foot et ses supporters ?

En mai 2002, les téléspectateurs ont pu assister en direct à la sortie de la tribune présidentielle de Jacques Chirac, indigné par les sifflets des supporters corses lors de La Marseillaise, en ouverture de la finale de la Coupe de France. Une frange du peuple s’est exprimée et le politique a réagi, conscient de la force du football en tant que lien symbolique de la nation. Le foot, c’est plus que du sport, c’est un fait social, une fenêtre grande ouverte sur nos sociétés.


2002, par Véronique Bruant

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